Pour la Quinzaine des Librairies Sorcières la librairie avait choisi de mettre en avant l'album, Missak, l'enfant de l'affiche rouge
à cette occasion, vendredi 28 mai Didier Daeninckx a rencontré ses lecteurs dans l'amphithéâtre de l'IUFM. Engagement et dénonciation en fil conducteur.
"Si on est satisfait du monde, on n'écrit pas"
Inutile donc de demander à Didier Daeninckx comment lui est venu le goût pour l'écriture. Naturellement. L'immigration, les planques, la guerre, l'antimilitarisme, un grand-père d'extrême-gauche, Didier Daeninckx connaît bien cette atmosphère. Il y a été baigné dès son plus jeune âge. "Ma mère travaillait comme dame de cantine. Pendant des jours elle disparaissait. Plus tard, j'ai appris qu'elle passait des valises en Espagne sous la dictature de Franco". Une famille saisie par l'histoire. "J'ai cherché à comprendre ce qu'il se passait autour de moi, percer les mystères, les secrets". Sa curiosité le pousse dans la recherche, il se passionne pour l'écriture, les journaux, la vie en général.
Ouvrier imprimeur, Didier Daeninckx s'essaie un temps au journalisme avant de se consacrer uniquement à l'écriture de romans noirs, de nouvelles et d'essais. L'après-guerre, le négationnisme, les massacres ethniques, Daenincks montre du doigt, dénonce, tente de montrer la vérité. Toujours en s'appuyant sur des sources historiques, il effectue un véritable travail documentaire où rien n'est laissé au hasard. Pourtant, il ne se dit pas historien, c'est "une passion sans patience" admet-il.
Provocateur ? sans doute.
Dans les années 80, il s'essaie à la littérature de jeunesse. Par hasard. "J'étais invité à un atelier d'écriture - chose que je ne fais jamais - dans mon ancienne école. Je pouvais pas refuser ! Durant cet atelier, un hold-up a eu lieu dans la banque qui se trouvait en face de l'école. C'était au moment de la fête des mères. Ce fait divers m'a inspiré un roman que j'ai intitulé La fête des mères. À ce moment, les éditions Syros lançaient leur collection Souris noire, mon texte a été publié". Un texte qui sera attaqué, jugé "destructeur des liens familiaux", accusé de "mettre la littérature de jeunesse au service des forces obscures"... Daeninckx comprend les enjeux de cette littérature : "il faut continuer !". Et l'auteur continue. Avec Le chat de Tigali, étudié dans de nombreuses salles de classe, où il dénonce le racisme.
Au début des années 2000, les éditions Rue-du-Monde, dont son fondateur Alain Serres est lui aussi une personnalité engagée, contactent Didier Daeninckx pour écrire un texte sur les rafles. Né "Il faut désobéir", le premier tome d'un triptyque sur la Seconde guerre mondiale.
Rien d'étonnant que quelques années plus tard, cette même maison d'édition lui demande de faire un album d'après son roman Missak, une biographie sur le résistant arménien Missak Manouchian. Des recherches toujours basées sur des faits, des documents d'archives, mais cette fois, Daeninckx se livre à des échappées poétiques. "L'utilisation de métaphores est impossible dans le roman. Ici, les illustrations de Laurent Corvaisier donnent une certaine densité, une élévation".
Un jeu de passé/présent, de la couleur, du noir et blanc, une alternance entre le souvenir et la vie en prison, Daeninckx émeut par la simplicité et l'évocation de sentiments profonds. Car si la vie de son héros est ponctuée par la mort et la violence, son dernier message - une lettre écrite à sa femme peu de temps avant de mourir - sera remplie de vie et d'espoir.
article de Béatrice CHERRY-PELLAT, paru dans LA DEPECHE vendredi 4 juin 2010