La fille des batailles
François Place
Casterman 16,95€
Qu’un roman d’aventures qui chevauche les trente dernières années du 17ème siècle puisse être raconté en quelque trente images, tel est le nouveau tour de magie de François Place dans son récent album "La fille des batailles" . L’héroïne, Garance, est une petite Sarrasine, échouée sur les rivages de France, qui grandit choyée par les uns, rudoyée par les autres. Successivement les guerres du roi puis les dragonnades vont ballotter celle qui est devenue une jeune femme dans des péripéties dignes des meilleures pages du capitaine Fracasse.
Vivre ces trente années en laissant son regard fouiller seulement trente images est possible grâce aux mille détails savoureux qui bavardent dans chacune d’elles. Est-ce que ce ne sont pas les illustrations des manuels d’histoire qui nous la font apprendre ? Dans ce récit, on visualise tour à tour les félicités qui émaillent la vie piaillante d’une auberge, au temps où l’on voyageait en coche, et les désolations que laissent les soldats après le passage des armées.
François Place est un narrateur omniscient, comme disent les professeurs de français. Il regarde chaque scène avec un large champ et laisse le soin à son lecteur, à son spectateur devrait-on dire, d’aller chercher les héros de son histoire parmi les nombreux figurants lilliputiens qui peuplent ses images. L’individu est toujours, par lui, replacé dans une foule, où se côtoient ceux qui lui veulent du bien, ceux qui le menacent et les autres, qui vaquent à leurs tâches quotidiennes. L’individu a l’air constamment noyé par le torrent de la vie aux cent visages humains. Seuls les arbres, admirablement suggérés par le pinceau de l’artiste, lui offrent un appui tutélaire, des refuges éventuels, une idée d’évasion.
A l’art du cinéma, François Place emprunte un réalisme méticuleux. Sous quelque angle que l’on regarde l’auberge, pivot ensoleillé de son récit, il n’y a pas un détail des bâtiments, des porches, des croisées, qui manque dans l’image suivante, que l’on se trouve à l’intérieur de la salle où l’on s’attable, dans la cour qui accueille les charrois ou près du lavoir aux abords du ruisseau, en contrebas du verger. On gagne ainsi l’impression de devenir un familier des lieux et de pouvoir se blottir comme Garance, à chacun de ses retours, dans les odeurs, les bruits et les couleurs qui s’entremêlent au dehors et au-dedans de soi, d’une manière unique au monde.
Le texte sert de voix off et de passerelle de transition d’une aquarelle à l’autre. Il joue le rôle du Temps, avec ses pauses et ses brusques accélérations. Mais ce sont les images qui font valser les saisons, quand les teintes s’estompent sur le papier glacé ou, au contraire, quand elles chatoient à nouveau aux moments des retrouvailles inespérées du petit fichu rouge et du gentil tambour tout de bleu drapé.
Thierry Lemaître